Rétropédalage : les néonicotinoïdes, temporairement autorisés en France
Publié : 3 septembre 2020 à 13h15 par Iris Mazzacurati avec AFP
L'utilisation d'insecticides néonicotinoïdes, néfastes pour les abeilles, a été temporairement ré-autorisé dans les champs de betteraves par le gouvernement, au nom de l'emploi et de la souveraineté alimentaire du pays.
Le jour même où sont annoncés les détails de son plan de relance post-Covid censé accélérer la transition verte, le gouvernement présente aussi un projet de loi permettant la réintroduction pour trois ans de semences de betteraves enrobées avec des néonicotinoïdes, dangereux pour les insectes pollinisateurs.
Le gouvernement, qui avait interdit ces pesticides en 2018, a détaillé une liste de mesures pour "encadrer" son revirement et limiter les effets néfastes sur l'environnement, alors qu’il essuie le feu nourri des critiques de la part des écologistes et des apiculteurs.
La ré-autorisation est valable jusqu'en 2023 et devra être accordée à nouveau chaque année par arrêté. Elle sera réservée à la filière betteraves et ne devrait pas être étendue à d'autres cultures comme le maïs, qui souhaitait aussi bénéficier de semences enrobées, même si le texte de loi ne le précise pas, a souligné une source gouvernementale.
Pour protéger les abeilles et leurs congénères, l'agence sanitaire Anses devra établir une liste de cultures de plantes mellifères qui ne pourront pas être cultivées derrière les betteraves, pour ne pas exposer les insectes l'année suivante à des résidus de produits enfouis dans les sols et remontés par la sève des végétaux.
Un plan de protection plus global des pollinisateurs est en cours de discussion pour la fin de l'année.
Le gouvernement a par ailleurs débloqué 5 millions d'euros, dont une partie dans le plan de relance, pour accélérer les recherches agronomiques afin d'arriver à produire en se passant de ces produits.
Pour l'emploi et de l’autonomie alimentaire du pays
Derrière ce revirement s'inscrivent la survie et la pérennité de toute une filière agroindustrielle, celle de la betterave à sucre, l'une des plus anciennes et des mieux organisées de l'agriculture française avec plus de 46 000 agriculteurs-planteurs et salariés dans les usines à sucre.
Lancée par Napoléon 1er, la culture des betteraves a permis de garantir l'autonomie de la France en sucre au 19e siècle et ainsi d'échapper aux guerres commerciales de l'époque, notamment au blocus du sucre de canne importé des Antilles imposé par l'Angleterre.
Après la relance du débat sur l'autonomie alimentaire du pays pendant le confinement, le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie avait d'ailleurs indiqué fin juillet que "jamais, jamais, jamais", il n'abandonnerait cette filière affaiblie par le virus de la "jaunisse", qui ampute ses rendements de betteraves.
Dès la mi-avril, dans nombre de parcelles, les agriculteurs avaient constaté la présence de pucerons verts, vecteurs de la jaunisse.
Le syndicat du secteur CGB anticipe les rendements les plus bas depuis 15 ans : une catastrophe pour les usines françaises de sucre et d'éthanol, souvent situées dans le nord du pays, qui sont menacées de fermeture ou contraintes d'importer leurs betteraves.
Car de l'autre côté de la frontière, les planteurs belges, néerlandais ou allemands continuent d'utiliser les néonicotinoïdes, douze pays de l'UE ayant demandé et obtenu des dérogations.
Levée de bouclier
Côté écologistes, les critiques vont bon train, d'autant que la ministre qui a annoncé la ré-autorisation des néonicotinoïdes est celle qui les avait fait supprimer, Barbara Pompili.
Le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, a jugé le projet "inacceptable". Génération Ecologie a lancé une campagne pour s'y opposer, sa présidente et ancienne ministre de l'Ecologie, Delphine Batho, estimant qu'il avait été pris "sous pression des lobbys de l'industrie du sucre" avec des conséquences "monstrueuses" pour "l'environnement", "les insectes, les oiseaux et l'ensemble du vivant".
Générations Futures demande aux parlementaires de "dire non" au projet. EELV a de son côté mis en avant de meilleurs résultats obtenus par les producteurs biologiques que par les agriculteurs conventionnels, un argument réfuté par une source gouvernementale selon laquelle "les faits ne permettent ni d'affirmer ni de démontrer" que la maladie touche plus les cultures en conventionnel qu'en biologique.