Féminicide de Mérignac : "A-t-il conscience du mal qu'il a fait à sa famille ?"
Publié : 26 mars 2025 à 19h33 par Diane Charbonnel
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Le procès de Mounir Boutaa pour assassinat se poursuit devant la cour d'assises de la Gironde. Une journée à l'audition de témoins et proches de l'accusé et des parties civiles. Résumé de cette troisième journée de procès.
Ce mercredi matin encore, une trentaine de personnes attendent devant la salle d'audience de la cour d'assises de la Gironde pour assister au troisième jour du procès de Mounir Boutaa. Le quadragénaire comparait jusqu'à vendredi pour l'assassinat de Chahinez Daoud. L'homme est accusé d'avoir tiré dans les jambes de son ex-femme avant de l'avoir brûlée vive devant chez elle à Mérignac en mai 2021.
Un féminicide qui a marqué la France entière par sa violence et par une série de défaillances de la part des services de police avant le drame. Cette troisième journée de procès a été presque entièrement dédiée à l'audition des membres de la famille de Mounir Boutaa et des parties civiles.
"Vous avez été victime de violences tout le long de votre vie conjugale "
La première témoin appelée à la barre pour ce troisième jour de procès est la première épouse de Mounir Boutaa. Leur rencontre a lieu en 2000, "c'était un véritable coup de foudre, je savais qu'il serait le père de mes enfants". "J'ai insisté pour qu'on se marie, lui ne voulait pas pour ne pas qu'on l'accuse de se marier pour avoir des papiers". Ils se marient finalement quelques mois seulement après leur rencontre et attendent très rapidement leur premier enfant.
Elle reçoit "les premières baffes" de Mounir Boutaa deux mois seulement après leur mariage. Et les violences vont continuer et s'intensifier. "Il y avait des moments de bonheur et de malheur". Elle explique rester et être partagée entre "amour et haine". "Il y avait des périodes où il était aimant, il était gentil, me faisait plein de cadeaux".
Mais les violences sont de plus en plus fortes, des coups, des gifles, des insultes, notamment lorsque l'accusé mélange alcool et médicaments après son accident du travail en 2010. Lorsqu'il n'y a pas de violences physiques, il se montre extrèmement jaloux, contrôle sa tenue vestimentaire, ses fréquentations, fouille dans son portable. Il devient également violent physiquement et moralement avec sa belle-fille, la fille aînée de la témoin, issue d'une autre union. Les violences contre elle commencent lorsqu'elle grandit et devient adolescente.
En 2011, sa première femme demande le divorce qu'il refuse jusqu'en 2015. Il vient à ce moment-là, de rencontrer Chahinez Daoud qui subira les mêmes violences.
Une fois le divorce signé, elle se rappelle d'une phrase de Mounir Boutaa : "tu as de la chance, sinon je t'aurais tuée".
Devant la cour, sa première femme explique avoir conscience d'avoir "tendance à minimiser les violences" qu'elle a subi. Après l'assassinat de Chahinez, "tout mon entourage m'a dit, ça aurait pu être toi". L'avocate générale lui confirme qu'elle a bien été victime de violences tout au long de sa vie conjugale.
"Il parlait tout seul"
"Une seule fois j'ai eu des doutes sur sa santé mentale", explique sa première femme à la barre. "Nous étions à une compétition d'athlétisme des enfants avec ma meilleure amie." Mounir Boutaa doit les rejoindre et cette amie fait remarquer à la témoin qu'il se trouve enfait un peu plus loin et parle tout seul. "Il n'était pas au téléphone, il n'avait pas d'écouteurs. Ce jour-là c'était la première fois que je voyais vraiment quelque chose qui me paraissait fou."
Selon sa première femme, cet épisode est survenu après la mort du père de Mounir Boutaa dont il était admiratif et très proche. "Il a pété un plomb" après ça. Elle estime malgré tout que Mounir Boutaa est quelqu'un de "très intelligent", qui peut être "spontané comme réfléchi".
"Il savait qu'il allait lui faire du mal"
Quelques semaines avant le drame, en mars 2021, sa première femme et Mounir Boutaa se retrouvent pour un repas de famille avec leurs enfants chez la soeur de celui-ci. Il annonce alors à la famille "qu'il va retourner en prison, qu'il va faire une bêtise". Mounir Boutaa avait été condamné quelques mois plus tôt pour des violences conjugales à l'encontre de Chahinez Daoud. "Il me dit qu'il ya quelqu'un chez Chahinez, qu'il ne le supporte pas, qu'il va faire une dinguerie", explique sa première femme qui comprend qu'il n'est pas "bien".
Sa famille lui conseille de se rendre au commissariat. Ce qu'il fait fin mars avant d'être renvoyé chez lui par un policier qui ne vérifie pas son identité. "Dans sa tête il savait qu'il allait lui faire du mal, il était trop en colère." "Il s'est arrêté de travailler quelques jours avant le drame, il m'a dit qu'il était fatigué par le Ramadan mais pour moi il préparait son offensive."
"A-t-il conscience du mal qu'il a fait à sa famille et à ses enfants ?"
Les enfants de Mounir Boutaa et sa soeur, également appelés à la barre, confirment cet état de mal-être lors de ce repas de famille en mars, "ce n'était plus plus la même personne, il n'était pas lucide". Sa fille et sa belle-fille s'accordent sur le fait qu'il "était violent avec ses femmes", mais elles n'auraient jamais pensé "qu'il pourrait en arriver là".
Des enfants partagés entre l'amour qu'ils peuvent porter à leur père et la colère après les faits "horribles" qu'il a commis. "Quand il a fait ça, c'est comme si il m'avait tuée moi aussi". "Il n'a pas pensé à nous, je me suis fait refuser des logements ou du travail parceque je porte son nom", explique son fils.
Lorsque sa première femme pose la question, a-t-il conscience du mal qu'il a fait à ses enfants et à sa famille, Mounir Boutaa évite la question en répondant simplement qu'il aime ses enfants. Ses proches, présents dans la salle, s'effondrent en larmes.
"Chahinez était un objet" pour lui
Une autre témoin, amie de Chahinez, raconte l'emprise qu'avait sur elle Mounir Boutaa et sa peur de mourir. "Elle s'est battue pour vivre, elle et ses enfants." Selon cette amie qui l'a accompagnée dans toutes ses démarches et chaque fois qu'elle allait porter plainte, la situation se serait dégradée lorsqu'elle a insisté pour faire venir son fils aîné en France. "Il lui disait toujours, tu ne vas plus jamais revoir ton fils", leur mariage n'était pas déclaré en France et Chahinez bénéficiait d'un titre de séjour de 10 ans alors que Mounir Boutaa a la nationalité française.
Chahinez dépose ses premières plaintes dès 2018, il lui est alors proposé des hébergements, qu'elle va finalement refuser sous "la pression" de Mounir pour retourner vivre avec lui. "Elle était son objet", il ne voulait pas la laisser partir, "elle était à lui", "il pouvait être jaloux même d'un animal, lorsque Chahinez caresser un chat". Selon cette amie, il ne la laissait pas travailler. Toujours selon elle, c'est lorsque Chahinez apprend, début 2021, qu'un signalement a été fait auprès du service de protection de l'enfance concernant la situation de ses enfants, qu'elle prend la décision de faire sortir définitivement Mounir Boutaa de sa vie. "Elle ne voulait pas perdre ses enfants à cause de lui".
"Chahinez était une maman exceptionnelle, c'était une merveilleuse soeur, elle était courageuse", explique sa soeur qui a également voulu s'exprimer. Les trois enfants de Chahinez lui ont été confiés ainsi qu'à sa mère, la grand-mère des enfants.
"Ces images que j'ai dans la tête, je ne pourrai pas les effacer"
En début de soirée, l'homme qui a tenté d'arrêter Mounir Boutaa le jour des faits est appelé à la barre. Le retraité s'est porté partie civile.
Après avoir entendu deux détonations, l'homme qui habite en face du lieu où se sont produits les faits regarde dans la rue depuis chez lui. "Je me suis d'abord demandé si ce que je voyais était bien la réalité", Mounir Boutaa déverse alors l'essence sur Chahinez, allongée sur le sol après avoir été blessée aux deux jambes. "Je suis sorti et me suis précipité vers lui pour tenter de l'arrêter en l'insultant pour le fait réagir", Mounir Boutaa s'accroupit malgré tout et met le feu au corps de Chahinez sans le regarder et alors que la jeune femme pousse un cri. Lorsque Mounir Boutaa se relève, il braque l'homme avec un pistolet, sans un mot, ni "aucune expression" avant de partir en direction de la maison de Chahinez.
Le septuagénaire va alors chercher des couvertures et les dispose sur le corps de Chahinez pour éteindre les flammes, en vain, "il y avait tellement de produit que les couvertures ont pris feu". Une femme est arrivée avec un extincteur qui a finalement permis d'arrêter l'incendie mais c'était trop tard. Chahinez est morte brûlée vive.
"Ces images que j'ai dans la tête, je ne pourrai pas les effacer. Pendant des mois je n'ai pas dormi, j'avais 72 ans et il m'est arrivé de pleurer comme un gamin dans mon lit."
Mounir Boutaa est invité par la présidente à s'exprimer, pour la première fois depuis le début de son procès, l'accusé s'excuse : "Je vous demande pardon, je suis désolé".