Féminicide de Mérignac : "Que je me sépare ou que je reste, je suis morte"
Publié : 25 mars 2025 à 20h22 par Diane Charbonnel
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La deuxième journée du procès de Mounir Boutaa a commencé vers 9h15 ce mardi matin. L'homme comparait devant la cour d'assises de la Gironde pour assassinat. Ce mardi, des témoins et des experts étaient appelés à la barre.
Dès 8h30 ce mardi matin, une quarantaine de personnes attendent, dans la salle des pas perdus du palais de justice, de pouvoir entrer dans la salle d'audience de la cour d'assises de la Gironde. Depuis la veille, Mounir Boutaa y comparait pour assassinat. Il est accusé d'avoir tiré dans les jambes de son ex-femme avant de la brûler vive en pleine rue, devant chez elle, à Mérignac le 4 mai 2021. Ce féminicide a bouleversé la France entière par sa violence et les défaillances des services de police qui n'ont pas permis de protéger la victime, Chahinez Daoud. Ce procès, attendu depuis quatre ans, est, sans surprise, très suivi.
"Une mission à accomplir" en tuant sa femme
Cette deuxième journée de procès est dédiée à l'audition de témoins et d'experts. Un policier de la Brigade anti-criminalité qui est intervenu sur les lieux le jour du drame revient notamment sur l'interpellation de Mounir Boutaa et son transfert en garde à vue au commissariat. Le policier évoque un homme calme, qui n'a pas été impressioné par la police et le RAID, qui avait été appelé sur place, et qui avait conscience qu'il venait de tuer son ex-femme. Lors de son transfert, le policier explique que Mounir Boutaa a assuré aux forces de l'ordre qu'il avait une "mission" à accomplir en tuant sa femme.
Il appelle et s'approche de Chahinez Daoud alors qu'il n'en a pas le droit
Auditionné, le responsable de l'enquête de police judiciaire révèle que le téléphone de Mounir Boutaa avait borné pratiquement tous les jours près du domicile de Chahinez Daoud depuis sa sortie de prison. Mounir Boutaa avait été incarcéré entre juin et octobre 2020 après avoir été condamné à 18 mois de prison dont 9 mois ferme pour violences conjugales après avoir tenté d'étrangler Chahinez Daoud. Il n'avait, à ce moment-là, plus le droit d'approcher ou d'appeler la jeune femme. Ce qu'il avait malgré tout continué à faire.
Sur les relevés téléphoniques, il apparait que Mounir Boutaa a appelé en moyenne, après sa sortie de prison et jusqu'au jour du drame, huit fois par jour Chahinez Daoud quand la jeune femme l'appelait en moyenne une fois par jour.
Le responsable de l'enquête rappelle que, quelques semaines avant le drame, le 21 mars 2021, Chahinez Daoud avait engagé une procédure de divorce en Algérie, le couple s'étant marié dans ce pays. Mounir Boutaa était justement appelé à se rendre en Algérie début mai, pour être entendu dans le cadre de cette procédure de divorce. Il assure à la présidente de la cour qu'il n'était pas au courant de cette procédure de divorce.
"Que je reste ou que je me sépare de lui, je suis morte"
La présidente a tenu à lire le témoignage d'une amie de Chahinez qui ne sera pas appelée à la barre durant ce procès. Lors de son audition au cours des investigations, cette amie explique que Chahinez avait retrouvé le sourire lorsque son mari était incarcéré. La jeune femme lui avait confié qu'il était "méchant", "violent", qu'il l'avait forcée à avoir des rapports sexuels sous la contrainte, qu'il lui achetait de la lingerie et qu'elle était "dans l'obligation de la porter".
Chahinez Daoud aurait également confié à cette amie avoir conscience qu'elle était sous l'emprise de cet homme qui lui affirmait que c'était "grâce à lui qu'elle était venue vivre en France", qu'"il pourrait faire venir son fils ainé resté en Algérie" mais qu'il pourrait aussi "la tuer". Toujours selon cette amie, Chahinez n'avait pas été prévenue de la sortie de prison de Mounir Boutaa. Après cette sortie de prison, la jeune femme évoque à son amie le "forcing" de la part de son ex-mari et lui avoue qu'elle a peur et lui explique "que je reste avec lui ou que je me sépare de lui, je suis morte".
Il se dit persuadé qu'elle avait un amant
Plusieurs fois, lors de ses interrogatoires, Mounir Boutaa explique, lors des investigations, qu'il est persuadé que Chahinez Daoud avait un amant. Mais selon les témoins, proches de Chahinez, la jeune femme n'avait pas d'amant et ne souhaitait pas refaire sa vie avec un autre homme. "Elle voulait simplement passer son permis, déménager, et continuer sa vie avec ses enfants". Les relevés téléphoniques ne révèlent pas non plus d'appels ou de messages d'une personne autre que ses amies ou ses proches.
Il avait expliqué lors de sa garde à vue, avoir "cramé sa femme pour tout le mal qu'elle et la justice lui avaient fait" en ajoutant qu'il ne voulait pas la tuer mais la "marquer".
Les débats de cette matinée très chargée, ont pris fin vers 14 heures.
"La victime était vivante au moment où l'accusé a mis le feu à son corps"
Après une suspension d'une heure, la séance a repris vers 15 heures avec l'audition du médecin légiste qui a réalisé l'autopsie du corps de Chahinez. Des détails et des photos du corps de la victime, aussi difficile à entendre et à regarder qu'on puisse imaginer, ont été présentés à la cour. Durant ce moment, les parents de Chahinez ont quitté la salle d'audience.
Le médecin légiste explique que les deux balles qu'avaient d'abord tirées Mounir Boutaa dans les jambes de Chahinez n'avaient pas provoqué la mort de la jeune femme. Elle était donc encore consciente mais dans l'incapacité de bouger, au moment où l'accusé l'a aspergée d'essence et a mis le feu à son corps avec un briquet. Chahinez est bien morte brûlée vive, "carbonisée", de brûlures au quatrième degrè présentent sur 80% à 95% de son corps. Chahinez Daoud n'avait aucune chance de survie au moment où Mounir Boutaa a mis le feu à son corps selon l'expert.
Interrogé sur la douleur que la victime a pu ressentir, le médecin légiste explique qu'une échelle de douleur allant de 0 à 7 est utilisée, 7 étant la douleur maximale. "Pour nous la combustion represente la pire douleur : 7 sur 7."
Pour l'expert, les faits ne sont pas dus au hasard et apparaissent "très bien organisés", une personne qui présente des "troubles mentaux ne peut pas tuer quelqu'un comme ça."
"Il est reparti comme s'il avait fini son travail"
Un témoin de la scène est appelé à la barre. Il habitait le quartier et se trouvait à vélo dans la rue au moment des faits. Il explique avoir entendu deux détonations puis avoir aperçu Mounir Boutaa, qu'il assure ne jamais avoir vu dans le quartier avant le drame, mettre le feu au corps de Chahinez Daoud qu'il connaissait. Il explique que Mounir Boutaa est ensuite reparti avec son fusil. "Ce qui m'a choqué, c'est le calme de ce monsieur", explique le témoin. "Il est reparti comme s'il était satisfait, comme s'il avait fini son travail."
"Je ne ressens rien, je ne me sens pas coupable"
Avant de clore ce deuxième jour de procès, la présidente de la cour d'assises a voulu recueillir les impressions de l'accusé sur cette journée. Mounir Boutaa explique que des témoins ont rajouté des élèments dans leur récit, "des éléments qui n'existent pas et ça fait mal". Une nouvelle fois, l'accusé se victimise.
Sur les faits, il explique avoir vu, en apercevant Chahinez sortir de chez elle, "tout le mal" qu'elle lui avait fait. "C'est mon corps, c'est pas mon esprit qui a tiré sur elle".
À la question de la présidente, qu'avez vous ressenti en voyant les photos du cadavre de votre femme, il répond, "tellement elle m'a fait mal, je n'ai rien ressenti, c'est la vérité, je ne me sens pas coupable, je ne ressens pas de culpabilité".