Féminicide de Mérignac : "il était conscient" au moment des faits
Publié : 27 mars 2025 à 21h40 par Diane Charbonnel
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La matinée de cette quatrième journée de procès de Mounir Boutaa s'est concentrée sur sa personnalité avec les auditions des experts, psychologue et psychiatre, et s'est poursuivi avec son audition dans l'après-midi et les plaidoiries des parties civiles.
Ce quatrième jour de procès de Mounir Boutaa a été presque entièrement dédié à la personnalité de l'accusé tant elle est complexe. L'homme de 49 ans comparait depuis lundi et jusqu'à ce vendredi devant la cour d'assises de la Gironde pour l'assassinat de sa femme, Chahinez Daoud, brûlée vive, en pleine rue à Mérignac le 4 mai 2021.
"Un trouble de la personnalité paranoïaque"
Face à l'expert psychologue qu'il rencontre trois mois après le drame, Mounir Boutaa revient d'abord sur ses épisodes de violences en prison, pendant ces quelques mois d'incarcération. Il a d'ailleurs changé trois fois d'établissement. "Pour moi c'est normal, si on me fait du mal, je réagis comme ça, on m'a fait beaucoup de mal dans ma vie". Lorsqu'il revient sur sa relation avec Chahinez, il explique s'être "fait avoir" et être certain qu'"elle avait un amant". Il se dit persuadé qu'elle l'a utilisé pour "avoir des papiers et ramener ses enfants en France". "J'ai beaucoup à dire sur tout le mal qu'elle m'a fait."
Face à ce récit vide d'empathie pour la victime, l'expert psychologue conclut à un trouble de la personnalité paranoïaque de l'accusé, un narcissisme poussé à l'extrême. "Il pense que le mal vient toujours de l'extérieur, pas de lui et il ne se remet pas en question". Mounir Boutaa interprète tous les élèments extérieur de façon à ce qu'ils aillent dans son sens. Lorsqu'il soupçonne Chahinez de le tromper, le simple fait qu'elle parte tôt le matin en est la preuve. "Il n'envisage pas qu'elle n'ait pas d'amant".
Si Mounir Boutaa présente une intelligence normale et un discours "structuré et logique", l'expert évoque la méfiance, la froideur affective et la suceptibilité de l'accusé. "Il est sensible à un regard ou une intonation". "Son rapport à la réalité peut être altéré car il ne sélectionne que les élèments qui vont dans le sens de ses convictions".
Lorsqu'il évoque les faits à l'expert psychologue, l'accusé assure ne pas avoir voulu tuer sa femme et qu'il ne se reconnait pas dans ce qu'il a fait, "ce n'est pas moi qui ai fait ça". Une prise de position révélatrice, selon l'expert, d'une personnalité paranoïque et narcissique, "il ne peut pas se voir comme un criminel".
"Il était conscient" de ce qu'il faisait
Un trouble de la personnalité paranoïaque confirmé par l'expert psychiatre également appelé à la barre. Mais selon lui, le trouble de l'accusé s'est dégradé devenant un délire paranoïaque. "La bascule aurait eu lieu au moment de sa condamnation en juin 2020 pour violences conjugales envers Chahinez Dadoud, violences qu'il a toujours rejetées". La conviction que sa femme le trompait provenait d'"interprétations délirantes".
Pour autant, l'expert explique que Mounir Boutaa "était conscient de ce qu'il réalisait" au moment des faits. Il évoque une altération du discernement et non une abolition. Son passage à l'acte était d'ailleur organisé. "Ce délire n'était pas généralisé", il ne concernait que les interprétations que l'accusé se faisait des faits et gestes de sa femme pour alimenter sa conviction qu'elle le trompait.
Sur les faits, Mounir Boutaa a expliqué aux psychiatres être "soulagé de s'être débarassé des manigances de sa compagne", il va jusqu'à ajouter "je ne suis pas un monstre, le monstre est mort". Par ces propos, l'accusé se positionne une nouvelle fois en victime, inverse les rôles, "il ne peut pas admettre une repsonsabilité directe" dans ce qu'il s'est passé.
L'expert reconnait la dangerosité de l'accusé qui doit être "confronté à la réalité" et "responsabilisé".
"Je suis coupable d'avoir marié ma fille à son bourreau"
Dans l'après-midi, avant d'entendre l'accusé, le père de Chahinez Daoud a souhaité s'exprimer devant la cour. L'homme de 69 ans vit aujourd'hui en France pour s'occuper de ses petits-enfants avec sa femme. Il explique que l'accusé était "un ange" en Algérie, que les violences ont commencé lorsque sa fille est arrivée en France. En pleurs, l'homme se dit "coupable d'avoir marié sa fille à son boureau", "il n'a pas détruit que la vie de Chahinez, il a détruit la famille de Chahinez et ses enfants."
Le plus jeune fils de Mounir Boutaa, aujourd'hui âgé de 9 ans, dont le témoignage a été entendu par la voix d'une association, souhaite aujourd'hui changer de nom, "je veux qu'il reste longtemps en prison, qu'il oublie que j'existe".
"Ce n'était pas moi, c'était un coup de folie"
Debout, dans le box des accusés, Mounir Boutaa, retire sa doudoune bleu électrique et laisse apparaitre sa chemise pour répondre aux questions de la présidente de la cour. S'il reconnait avoir tué Chahinez Daoud, il assure, toujours, ne pas avoir préparé ce meurtre. Il explique avoir voulu lui "faire peur", qu'il ne voulait pas la tuer. "Je voulais qu'elle souffre comme elle m'a fait souffir". "Il va jusqu'à expliquer avoir été "destabilisé" par le voisin qui est intervenu et qu'il a braqué. Avant d'assurer : "ce n'était pas moi, c'était un coup de folie".
Avec des propos confus, il évoque la trahison de sa femme qui selon lui ne l'aimait pas, une "association de malfaiteurs" qui voulait l'humilier, le tuer, qui l'aurait "fabriqué" et l'aurait amené à devenir celui qui a tué sa femme.
Toujours aussi désordonné, il raconte aussi un message, envoyé, la veille du drame, par la soeur de Chahinez. Une photo de Xena la guerrière et son épée, sur laquelle était inscrite "Chahinez Daoud". "Moi j'adorais Xena la guerrière". Cette photo l'aurait fait "piscoter" toute la journée dans son fourgon le jour des faits. C'est, selon lui, le déclencheur des faits du 4 mai 2021. Un message qu'il n'avait jamais évoqué jusqu'à présent, lui rappelle la présidente.
À la question pourquoi avoir acheté un nouvel utilitaire, quelques jours avant le drame et s'être caché à l'intérieur, il répond qu'il a "toujours rêvé d'avoir un Express". Pourquoi l'avoir aménagé pour observer l'extérieur sans être vu ? "Pour pouvoir voir mes enfants".
Il assure une nouvelle fois à la cour ne pas être quelqu'un de violent, malgré tout les témoignages recueillis durant le procès et indiquant le contraire. Il explique n'avoir rien ressenti à la vue des photos du corps de Chahinez présentées pendant le procès estimant, "ce n'est pas moi qui l'ai fait".
Après plus d'une heure d'audition, et face aux questions insistantes de ses avocates, Mounir Boutaa finit par livrer un sentiment regret, "bien sûr qu'au fond je regrette, Chahinez c'était la femme de ma vie, je l'aimais tant, ça me fait gavé mal de ne plus la voir".
Plusieurs fois pendant l'audition de Mounir Boutaa, le père de Chahinez n'a pas pu s'empêcher de quitter la salle.
"On lui a volé le mot maman"
Les plaidoiries des parties civiles ont clos cette avant dernière journée de procès. Me Marie Pommies Corbu, avocate du seul enfant commun de Chahinez et de l'accusé, a rappelé la place de victime "directe" et non collatérale de ce petit garçon de 9 ans. Une victime dès sa naissance, car témoin des violences conjugales sur sa mère. Son père "a sali son enfance par sa violence".
"On lui a volé le mot maman, parceque son père a sciemment, et en pleine conscience, méticulesement effacé sa mère". L'enfant a "rejoint le groupe des grands oubliés".
Il a fait de Chahinez "le symbole des victimes de violences conjugales "
L'avocat de la famille de Chahinez Daoud, Me Julien Plouton, a lui rappelé que cette affaire n'était pas "un simple fait-divers" mais un "fait de société".
Si Chahinez est devenue un symbole, c'est en réalité que la personnalité de son assassin présumé "n'a rien d'exceptionnelle". Paranoïa, incapacité d'accepter la séparation, positionnement en tant que victime "et puis la violence psychologique et physique". Des modèles masculins toxiques, rigides, strictes, "qu'il faut déconstruire" grace à "l'éducation, la prévention dès le plus jeune âge" pour éviter qu'ils se perpetuent.